Anne-Marie White

Anne-Marie est la directrice artistique et générale du Théâtre du Trillium (Ottawa).
Au moment de cet entrevue en novembre 2009, elle venait de mettre en scène Le Bout du monde, pièce de l’auteure danoise Astrid Saalbach, dans une traduction française de Catherine Lise Dubost, à La Nouvelle Scène d’Ottawa.
Parlez-nous de votre production Le Bout du monde ?
Ce fut un très beau voyage, à la fois personnel et collectif, très enrichissant artistiquement. Cette production marque également mon arrivée au Trillium. C’est la première saison que je signe en tant que directrice artistique du Théâtre du Trillium. Cette production était importante et je me suis offert une belle folie avec ce texte danois qui a demandé beaucoup d’abandon de la part de tous. Abandon, parce qu’il a fallu plonger, de façon solidaire, dans un univers autre, complètement déjanté, et très loin de nos références nord-américaines. L’équipe a défendu le spectacle jusqu’à la pointe des ongles. Et ça paraissait sur scène.
Comment vivez-vous les soirs de première ?
La plupart du temps, je vais m’asseoir dans la salle, généralement très en arrière et près d’une sortie. C’est l’endroit où je me sens le mieux; je peux vivre pleinement la pièce et la recevoir au même niveau que les spectateurs. Cela dit, parfois je regarde la pièce à partir de la régie, tout dépendant des circonstances.
Souvent, pour moi – environ une semaine avant la première quand tout est engagé au niveau des conceptions et qu’on commence à rouler le spectacle – il y a une sorte de détachement qui se produit naturellement; l’abandon se passe un peu avant la première. Non pas que je cesse de travailler, mais c’est en dedans que ça se passe.
Y a-t-il des aspects du travail de direction artistique qui sont moins agréables pour quelqu’un de créatif comme vous ?
J’ai la chance immense, inouïe d’être dans une compagnie et j’aime énormément mon travail. D’ailleurs, je suis une des rares folles qui aiment rédiger des demandes de subvention, qui aiment élaborer des budgets, je prends plaisir à faire ça (pas tous les types de subventions, remarque…). C’est en élaborant les budgets que la direction, la vision de la compagnie se dessinent. La façon de gérer les chiffres dicte le type de direction que la compagnie prend et prendra dans les années futures. Il n’y a honnêtement pas grand-chose dans le poste actuel qui me déplaît.
Quel a été votre parcours avant d’arriver à l’ÉNT ?
De 1990 à 1995, j’ai fait mes études en théâtre à l’Université d’Ottawa. J’ai fait mes premières armes au Théâtre la Catapulte, en collaboration avec le fondateur Patrick Leroux. Assez rapidement j’ai eu un intérêt marqué pour la mise en scène, tout en jouant, en faisant de la régie, bref en touchant un peu à tout. Jusqu’à ce que je sente le besoin de me nourrir, d’aller ailleurs et c’est à ce moment-là que je suis venue à Montréal, à l’ÉNT.
Que la vie vous a-t-elle réservée après l’ÉNT ?
Ce fut une période de création intense dans tous les sens du terme. D’abord, je sentais vraiment le besoin de m’isoler en campagne. Donc, mon conjoint (l’auteur-compositeur-interprète Marcel Aymar) et moi sommes allés nous installer à North Lancaster (Ontario), à mi-chemin entre Montréal et Ottawa, pour fonder notre famille. Nous avons eu deux enfants qui ont aujourd’hui 3 ans et demi et 5 ans et j’ai fondé ma compagnie, le Théâtre de la Cabane bleue.
Pendant ma grossesse, j’ai aussi fait le projet Tout comme elle avec Brigitte Haentjens. En même temps, avec ma compagnie, j’ai crée le spectacle Écume, mon premier texte. Au cours d’une période de 2 ans et demi, je suis vraiment allée au bout d’une proposition, j’ai poussé mon langage scénique au maximum. J’écrivais et je mettais en scène. Tout le travail se faisait chez moi, avec une équipe mixte composée de comédiens et concepteurs de Montréal et d’Ottawa. Les gens venaient chez nous et on travaillait en résidence de création, quelques jours à la fois. Ils habitaient carrément chez nous; on créait le jour (on avait une salle de répétition sur le terrain) et en soirée, on mangeait et on vivait ensemble.
Étiez-vous enceinte durant cette période ou aviez-vous déjà donné naissance à votre enfant ?
Les deux ! J’avais accouché de mon premier enfant lorsque la compagnie s’est mise en branle. Après ça, au cours de l’étape de création – une deuxième grossesse.
Comment avez-vous fait ? Ça demande une énergie énorme !
Je ne sais pas comment j’ai fait, moi non plus!! Mais, je l’ai vécu comme ça. Quand j’ai donné naissance à mon premier enfant, il y a eu quelque chose qui, étrangement, s’est débloqué, un genre de canal auquel je n’avais jamais vraiment eu accès auparavant. J’ai déjà entendu des témoignages d’artistes qui ont vécu la même chose. Un flot de créativité et de création est arrivé de façon très violente. Après un accouchement, on manque de sommeil et, des fois, je n’avais que quelques minutes entre deux dodos; mais j’allais à mon ordinateur et l’écriture se faisait de façon débridée, malgré moi, alors qu’avant, mon rapport à l’écriture était moins actif.
Que retenez-vous de vos études à l’ÉNT ?
J’ai de très, très beaux souvenirs de l’École nationale de théâtre. L’École m’a vraiment permis de poser un diagnostic sur où j’en étais à ce moment précis dans ma démarche artistique. C’est ce que j’ai trouvé extraordinaire de la part de la direction de l’époque; Denise Guilbault a vraiment eu la finesse de prendre le temps de nous écouter et de voir où on en était, vers où on voulait se diriger et comment l’École pourrait nous aider. Le programme était ciblé. Denise nous a appuyés dans nos démarches personnelles. L’approche était juste et j’en suis extrêmement reconnaissante à l’ENT. Il n’y a pas eu une rencontre dont je n’ai pas profité au maximum, que ce soit avec des artistes comme Marie Gignac, Brigitte Haentjens, Wajdi Mouawad ou encore Reynald Robinson. C’était inspirant. Pour moi, l’ÉNT a été un tremplin extraordinaire, j’en suis sortie comme une bombe ! Et c’était clair pour moi que j’avais besoin de mon propre moteur de création. Je pense sincèrement que je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui sans mon passage à l’École nationale de théâtre.
Si j’avais su à l’époque ce que je sais aujourd’hui…
Je ne me serais jamais plainte d’être occupée (parole de mère au travail) !