Anne-Séguin Poirier

Anne-Séguin Poirier œuvre comme conceptrice de décors et de costumes pour le théâtre, le cirque et l’opéra. Elle a signé les costumes pour un volet de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver 2010, à Vancouver. Entrevue réalisée en mars 2010
Photo : Luc Lavergne
Parlez-nous de ce grand projet du spectacle d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver à Vancouver ?
J’ai été approchée par DAE (David Atkins inc.) en 2008. Une équipe d’artisans du spectacle à été créée en 2009 suite à différentes séances de créations à Vancouver et à travers le Canada. Le concept du spectacle comprenait différents tableaux et chaque tableau était associé à un créateur de costumes et de décors. J’ai œuvré sur un tableau en particulier et j’ai fait partie d’une équipe de brainstorming qui s’est réunie tout au long des années 2008 et 2009 pour développer l’espace scénographique, le contenu visuel (les projections), le storyboard, etc.
Était-ce semblable à vos précédents projets ou complètement nouveau ?
Semblable à Délirium du Cirque du Soleil ; premier spectacle en aréna (2006). Il s’agissait d’une collaboration avec les metteurs en scènes Michel Lemieux et Victor Pilon (4d art). Toutefois, ce qui était très différent avec le spectacle d’ouverture des Olympiques, c’était le direct devant 60 000 personnes, diffusé par la suite à travers le monde.
Combien de personnes étaient impliquées dans cette production ?
L’équipe de création comprenait une trentaine de personnes de créateurs à travers le Canada. C’était une équipe hétéroclite qui devait trouver une vision commune. Un grand défi.
Quel était votre tableau ?
J’étais conceptrice des costumes de la scène de l’automne, composée de violonistes et de tapeurs de pieds. (Le rythme de l’automne).
Où étiez-vous durant le spectacle d’ouverture ?
J’étais dans les loges avec mes compatriotes. Nous voulions regarder le spectacle et en même temps voir le résultat à la télévision, car c’était vraiment deux spectacles distincts. L’énergie est complètement différente entre le spectacle live et la rediffusion à la télévision.
Quelle était l’atmosphère dans cette loge ?
C’était très tendu ! La marge d’erreur était grande. Il faut préciser que tout l’enchaînement s’est fait en quatre jours ; l’ensemble des répétitions s’est fait en une semaine. Ça allait à une vitesse grand V. Il y avait donc énormément de tension mais, en même temps, nous étions tous très confiants que tout se passerait bien.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Ça fait presqu’un an que je travaille sur un projet de spectacle avec le Cirque du Soleil. Je suis conceptrice des accessoires pour un projet à Los Angeles, en 2011, mis en scène par Philippe Decouflé. C’est un spectacle sur le cinéma. Je vais y travailler pendant environ un an et demi.
En même temps, je suis en création cette année avec Michel Lemieux et Victor Pilon sur un projet au Théâtre du Nouveau Monde. Je continue aussi à collaborer avec l’École nationale de cirque ; je travaille avec des chorégraphes sur les spectacles annuels. Nous sommes une petite équipe de professionnelles qui les entoure pour leur spectacle de fin d’année.
Avez-vous toujours aimé le théâtre ?
Au secondaire, j’ai fait quatre ans de théâtre. Durant toute cette période, je détestais être sur scène ! J’aimais beaucoup mieux être à l’arrière-scène. Je voulais être impliquée, mais d’une autre façon. Enfant, je dessinais beaucoup. Le dessin m’a poussé à vouloir m’exprimer d’une autre façon.
Qu’est-ce qui vous a conduit vers la scénographie ?
J’ai d’abord étudié en production, au cégep de Saint-Hyacinthe. La production m’attirait beaucoup, surtout l’éclairage. J’aimais la technique mais je me suis rendue compte que le dessin me manquait. J’ai donc bifurqué vers le décor. J’ai terminé mon cégep en sachant que c’était la scénographie qui m’attirait et que je devrais poursuivre ma formation.
Je suis arrivée à l’ÉNT à l’époque où Guido Tondino était le directeur du programme. C’était très important pour lui qu’on puisse voyager dans les deux secteurs, costumes et décors.
Donc, quand j’ai terminé l’École, je ne me suis jamais empêchée de faire les deux, en me disant que c’est tout à fait la même démarche. Ce qui est extraordinaire en scénographie, c’est de raconter des histoires. On a cette chance et pouvoir réinventer ou de réécrire l’histoire, d’amener un autre regard.
Que retenez-vous de vos années à l’ÉNT ?
Je dirais que se sont les influences de tous les professeurs qui demeurent des points de repères aujourd’hui. François St-Aubin, par exemple, qui fut mon professeur à l’École nationale et au cégep. C’est quelqu’un avec qui j’ai beaucoup de plaisir à collaborer. Je peux toujours l’appeler pour lui demander des conseils. Lorsqu’on est à l’École, on traverse une période fragile qui est toujours bénéfique plus tard; il faut essayer de retrouver cette fragilité. Le danger est de tomber dans une machinerie, de vouloir performer, de s’assurer d’avoir du travail parce que c’est ça, la réalité. À l’École, cette fragilité se traduit par une autre perception du temps. On a le luxe de prendre tout un samedi pour dessiner, ce qui est plus difficile dans le milieu professionnel.
Si vous n’étiez pas devenue scénographe, qu’auriez-vous aimé faire ?
J’ai de la difficulté à m’imaginer faire autre chose ! Cela dit, j’admire beaucoup la carrière de François Vincent qui nous a enseigné la peinture à l’ÉNT. C’était justement des moments privilégiés où on prenait le temps. Je pourrais même envisager un détour vers la peinture dans le futur. Ce serait une occasion de me concentrer sur mes propres projets. En spectacle, on est dépendant d’une équipe et du regard de metteur en scène ; on n’a pas le contrôle sur tout. Ce qui est bien comme artiste visuel et indépendant, c’est d’avoir cette possibilité de monter sa propre exposition, d’y apposer sa signature et de la présenter au moment opportun. J’aimerais donc pouvoir m’offrir cette liberté un jour.
Quels conseils donneriez-vous à de jeunes scénographes ?
Allez chercher des gens qui vous stimulent. Il faut gagner sa vie, mais il faut trouver la ligne fine entre gagner sa vie et vivre sa passion. La création est un métier de passion, il faut aimer ça, il faut en faire, il faut être plongé dedans, à tous les niveaux. C’est quelque chose qui est constamment en développement, on doit se tenir au courant de ce qui se passe et évoluer car le public est très gourmand. Aussi, allez assister des scénographes. Au début de ma carrière, j’en ai beaucoup assisté ; j’ai fait des maquettes et des plans, et ensuite, j’ai été chargée de projet. C’est très belle façon de percer, une continuation de la relation « prof-élève ». C’est aussi un moyen de rencontrer des metteurs en scène, des directeurs de théâtre et des gens qui travaillent dans le milieu. Il faut se faire voir.
Qu’est-ce qui vous inspire et qu’est-ce qui vous fait peur ?
Ce qui m’inspire, c’est la symbiose d’une équipe dans un projet de spectacle. C’est toujours inspirant de savoir que tout le monde est dans le même bateau, parce qu’on peut se rendre vraiment très loin tous ensemble. C’est fascinant. Ce qui me fait peur, c’est quand tout le monde part avec sa chaloupe et qu’il est difficile de se retrouver. Ce qui fait peur, aussi, c’est l’incertitude de ce métier. On se demande si on va avoir du travail le lendemain, si on pourra vivre de son métier. Il n’y a aucune garantie. C’est la grande difficulté dans ce milieu. On dépend de tellement de gens. En même temps, il faut trouver les moyens de ne pas être seule, d’être soutenue. Il faut se construire des relations artistiques et des équipes.
Complétez cette phrase : « Si j’avais su à l’époque ce je sais maintenant…
Je suis scénographe encore aujourd’hui et j’aime mon métier.