Didier Lucien

Entrevue réalisée en février 2010.
Photo : Jacinthe Perreault
Didier, vous enseignez à l’ÉNT ces jours-ci, pourriez-vous nous en parler ?
J’enseigne, aux étudiants en Interprétation 2e année, un cours que j’ai créé et qui s’intitule Le coffre à outils pour les 2e et 3e rôles. Je leur apprends comment se débrouiller dans le « monde réel » parce qu’on doit parfois faire sa propre mise en scène, être inventif avec notre personnage qui n’est pas toujours bien défini dans le texte.
Je leur parle aussi de la notion de manipulation du public. On fait ça avec le théâtre pour enfants : on raconte une histoire et on s’arrange pour que les enfants soient intéressés. Mais on ne fait pas ça avec les adultes et c’est une erreur. Les comédiens ne peuvent pas jouer en pensant uniquement à la pièce – nous jouons une pièce devant public, alors nous devons manipuler le public. Il faut leur raconter une histoire. Des fois, au théâtre, nous oublions qu’il faut de la communication. Je suis là pour le rappeler.
Sur quels projets travaillez-vous à l’extérieur de l’ÉNT ?
J’ai une compagnie de production dont le premier projet est le site de webtélé, www.didierzemime.com. C’est une PME dont le mandat est de produire des capsules de mime. Je travaille avec un ami d’enfance, Robert Boulos, avec qui j’ai une belle complicité car nous nous connaissons depuis longtemps. J’ai fait beaucoup de mime et d’improvisation lorsque j’étais plus jeune et c’est Robert qui m’a encouragé à y retourner.
À date, nous avons créé quelques 150 capsules et notre but est d’en produire 300. Nous venons d’en vendre à Canal Plus en Espagne et nous avons aussi des contacts dans d’autres pays. Nous travaillons sur des campagnes publicitaires, dont une, par exemple, qui va bientôt sortir sur la sécurité routière.
Comment conciliez-vous vie de famille et vie professionnelle ?
Au début de ma carrière, je jouais au théâtre environ quatre fois par année. Maintenant, j’ai des jumeaux de 5 ans et une fille de 14 ans, alors pour bien équilibrer ma vie de famille, j’essaie de ne jouer au théâtre qu’une fois seulement par année. Travailler sur notre projet de webtélé et l’enseignement s’adaptent mieux à ma vie en ce moment.
Comment vos enfants réagissent-ils lorsqu’ils vous voient au théâtre ou à la télévision ?
Ma fille est née environ en même que tous les enfants de mes amis comédiens alors, pour elle, c’est normal et même un peu banal !
Comment êtes-vous arrivé au théâtre ?
J’ai toujours fait du théâtre, mais je n’avais jamais pensé devenir comédien. En fait, je voulais aller à l’École de cirque… plus jeune, je faisais du clown, du mime, etc. J’ai même joué dans un spectacle pour enfants.
Un jour, deux de mes amis m’ont demandé de leur donner la réplique lors de leurs auditions à l’École nationale de théâtre. Mes collègues dans la troupe de théâtre m’ont dit que je devrais essayer aussi. Alors je me suis dit, quitte à faire quatre scènes, je vais en faire six ! S’ils ne m’aiment pas après six scènes, je saurai que ce n’est pas pour moi !
J’ai été accepté mais c’est seulement durant ma 3e année qu’un déclic s’est fait. Après avoir mis tant de travail et d’effort dans ma formation, j’ai réalisé que ça valait la peine de poursuivre plus sérieusement et de devenir comédien.
Est-ce que vos parents ont été surpris par votre choix ?
Non, c’était normal. Ils ont poursuivis des métiers pratiques (mon père est prof de math et ma mère est comptable) mais je les soupçonne d’avoir une bonne fibre artistique. Mon père écoutait de l’opéra continuellement, ce qui fait que je connais tous les classiques. Je n’aimais pas nécessairement ça quand j’étais petit, mais je l’apprécie aujourd’hui. J’en ai bénéficié plus tard, énormément.
Que retenez-vous de vos années à l’ÉNT ?
D’abord, la camaraderie. À force de vivre 4 ans avec les mêmes 12 personnes, il y a des liens forts qui se tissent et qui durent. Nous sommes restés amis et, encore aujourd’hui, je ressens le besoin de revenir à cette complicité et de jouer avec les gens de ma classe. Lorsque je prépare un projet, c’est toujours à eux que je pense en premier.
Ce dont je me rappelle très bien aussi, c’est la notion de vérité dans le jeu, cette philosophie de base dont la regrettée Lou Fortier nous parlait toujours. C’est une notion qui m’est restée et que j’essaie toujours d’appliquer. La vérité dans tous les sens.
Si vous n’étiez pas devenu comédien, que seriez-vous devenu ?
Je ne pouvais pas faire autre chose ! Pour moi, il n’y avait pas d’autre choix… Il n’y a rien d’autre qui m’allume comme ça, qui m’intéresse au même point.
Je suis confortable sur scène. Quand je ne joue pas pendant un moment, j’ai un surplus d’adrénaline et je sens qu’il est en temps de remonter sur les planches. Je joue de la musique, mais je ne pourrais jamais jouer en spectacle, ça me gêne trop ! J’aimerais toutefois faire de la mise en scène. C’est un de mes projets d’avenir.
Avez-vous des conseils à donner aux jeunes comédiens ?
Éviter d’avoir du jugement envers vous-même et envers le texte. Essayer de toujours débuter avec une page blanche; le préconçu et l’autocensure, ce sont les pires choses qu’on peut faire. Le jeu, c’est un exercice de manière plutôt que de choix : ce n’est pas tant le choix qu’on fait, mais la manière dont on l’exécute.
Je ne vois pas les personnages d’une seule façon. Un personnage est composé d’un paquet de détails. Il y a toujours des choses à découvrir. Si tu arrêtes de découvrir, je ne sais pas ce que tu fais dans ce métier-là ! Ce n’est pas assez payant !!!!