Eloi Archambaudoin

Cette entrevue a été réalisée le 13 mars 2014 alors qu’Éloi jouait dans la pièce Sunderland, de Clément Koch, dans une mise en scène de Serge Postigo (Interprétation, 1993).
Photo : Maxime Côté
Eloi, Sunderland est ta deuxième collaboration avec Serge Postigo, qui a aussi signé la mise en scène de la pièce Geronimo Stilton dans le Royaume de la Fantaisie (présentée au Monument-National durant le temps des Fêtes) dans laquelle tu jouais le rôle-titre. Peux-tu nous en parler ?
Cette collaboration avec Serge est le genre de rencontre qu’on fait trop rarement dans le métier. Il m’a invité à auditionner pour Sunderland car une belle complicité s’était établie entre nous durant l’aventure de Geronimo Stilton. Et, après avoir tenu le phare dans cette production, c’était rafraîchissant d’avoir un rôle de soutien dans Sunderland : mon personnage arrivait sur scène une heure après le début de la pièce et je n’avais que deux courtes scènes, mais qui faisaient basculer l’action. C’était très gratifiant!
Depuis ta sortie de l’École, tu joues en anglais comme en français, n’est-ce pas ?
Oui, à part ma carrière en français, j’ai joué deux fois au Théâtre Centaur et deux fois pour Talisman Théâtre. Je fais aussi beaucoup de narration dans les deux langues. Les compagnies de théâtre anglophones tiennent régulièrement des auditions, ce qui est plutôt rare en français.
Es-tu encore très nerveux quand tu passes des auditions?
De moins en moins. Ça dépend des circonstances. Ce qu’il y a d’ironique dans notre métier c’est que plus un rôle nous tient à cœur, plus la nervosité va être présente et moins on a va être apte à recevoir les notes qu’on nous donne. Et, inversement, lorsqu’on auditionne pour quelque chose qu’on désire moins, on est super bon, car il n’y a pas d’enjeu; on est libre, on performe mieux et souvent on décroche le rôle.
Qu’est-ce que tu fais pour contrôler la nervosité avant une audition ?
La seule chose que je peux contrôler c’est mon texte, le reste ne m’appartient pas. J’apprends mon texte sur le bout des doigts, à l’endroit, à l’envers… c’est la seule chose que je peux faire. Pour le reste, c’est vraiment de se laisser aller pour être libre et disponible aux indications qu’on va me donner en audition.
Ce qui est difficile dans notre métier, c’est qu’on n’a pas assez accès aux auditions. Quand on n’a pas la chance de se faire voir, c’est difficile de pratiquer notre métier. Ce n’est pas comme un peintre qui peint une œuvre dans son salon : celle-ci existe indépendamment de si elle est vue ou non. Nous, on a beau faire nos gammes, faire nos exercices, apprendre des tirades pour garder notre outil bien huilé, il reste que, sans spectateurs, ça perd son sens.
Quand as-tu commencé à t’intéresser au théâtre ?
Ça s’est fait très jeune, mais je ne me souviens pas d’un moment pivot. Ma mère a fait un peu de théâtre communautaire et, tout petit, vers l’âge de 4 ans, je l’accompagnais à ses répétitions. Je suivais dans le texte en faisant semblant de lire ses répliques. Elle était aussi une très bonne conteuse; elle avait le tour de donner vie aux personnages. J’ai rapidement eu envie de lire les histoires à mon tour et de donner ce plaisir-là aux autres. Mon père, que je n’ai pas connu, est artiste peintre alors peut-être qu’il y a un élan artistique qui s’est transmis dans les gènes!
As-tu fait du théâtre à l’école secondaire ?
Oui, et j’avais une facilité avec l’improvisation aussi. Dès l’école primaire, dans la cour d’école, j’étais le bouffon, celui qui faisait rire tout le monde. Ça devient comme une drogue et on recherche toujours cette sensation par la suite. On veut toujours faire rire, faire vivre des émotions à ses camarades.
En même temps, j’avais un esprit très cartésien et j’étais très attiré par les sciences. En secondaire V, j’ai été exempté du cours d’anglais, parce que j’étais parfaitement bilingue, ce qui m’a permis de suivre à la fois les cours de chimie et de physique, les sciences fortes, et le cours de théâtre. J’ai eu de la chance de tout faire, de ne pas avoir à choisir une option plutôt qu’une autre.
Comment avais-tu entendu parler de l’École nationale de théâtre ?
Ma mère m’en avait parlé quand j’avais 12 ans et elle m’avait dit : « C’est vraiment là que ça se passe pour toi, il faut que tu y ailles si tu veux être acteur. » Il fallait avoir 18 ans, alors après le secondaire, je me suis inscrit en sciences pures au cégep. Mais en même temps, j’ai été accepté au Département de théâtre de l’Université d’Ottawa, qui permettait aux étudiants du Québec d’entrer directement du secondaire. J’habitais en Outaouais, alors je traversé le pont, tous les jours pendant quatre ans, pour aller à l’Université d’Ottawa. C’était une expérience très positive, mais dans ma tête c’est clair que l’ÉNT était mon objectif.
Et tu as atteint ton objectif ?
Oui, mais non sans peine! J’ai auditionné trois fois et fait trois stages avant d’être accepté à l’ÉNT. Le premier stage, à 18 ans, était en ecriture-dramatique. Nous étions six au stage, mais un seul candidat avait été accepté cette année-là. Deux ans plus tard, je suis venu faire un premier stage en interprétation; je n’ai pas été retenu, mais on m’a invité à me représenter une autre année. Deux ans plus tard, je suis revenu pour une dernière fois. Je jouais le tout pour le tout en me disant que si ça ne marchait pas ce coup-ci, je passerais à autre chose. Heureusement, c’était la bonne. En passant, j’avais aussi fait deux stages sans succès au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. J’ai fait cinq stages avant d’avoir été accepté.
Comment s’est déroulée cette dernière audition à l’École ?
La dernière fois, en 2000, je sentais une réticence de la part des jurys. C’était devant Alice Ronfard et Paul Savoie (Interprétation, 1970). Comme j’avais déjà un Bacc. en théâtre et que je travaillais déjà comme comédien, ils m’avaient demandé : « Mais pourquoi tu veux venir faire l’École ? Tu sembles être prêt à faire le métier, t’as une certaine facilité. Es-tu sûr que tu veux étudier pendant encore quatre ans? » Et moi je trouvais ça tellement ironique parce que tout ce que j’avais fait jusqu’à ce moment-là c’était, justement, pour entrer à l’École.
Ça devait être extrêmement difficile de te remonter le moral après ces refus ?
Aujourd’hui, je ne serais plus capable de faire ça! Quand on est jeune, on est tellement plein de fougue et de confiance. Avec les années, on finit par comprendre quelles sont nos limites. À l’époque, j’étais convaincu que je pouvais tout jouer. Des fois, je m’ennuie de cet Eloi qui n’avait peur de rien, qui fonçait partout. On s’assagit avec le temps; on sait qu’on doit se mettre en danger pour se dépasser, mais c’est facile de s’asseoir sur son talent, de jouer les valeurs sûres. C’est ça le métier d’acteur :il faut plonger, se mettre en situation de danger et marcher sur la corde raide pour continuer d’évoluer.
Y-a-t-il un rôle que tu rêves de jouer ?
Chaque artiste à une sensibilité propre et chaque artiste a des talents qui lui sont connus, mais peut-être moins connus auprès des autres. C’est sûr qu’avec ma taille, mon apparence altière… J’ai juste à me tenir naturellement et malgré moi, j’ai l’air d’un prince! Certains diraient que je ne peux pas vraiment aspirer à jouer Richard III, par exemple; mais il y a une part de moi qui est très sombre et qui a envie d’explorer des histoires vraiment tordues. J’aurais envie de jouer Agrippine, dans Britannicus; c’est un rôle de femme, mais j’aurais le goût de plonger là-dedans, d’explorer un personnage manipulateur, passionnel et fougueux.
Un autre rôle que j’aurais aimé jouer, et qui a déjà été joué par Marc Béland, au TNM, est celui de Victor, dans Victor ou les enfants au pouvoir, de Roger Vitrac. C’est un rôle qui m’appelle; je l’avais fait lors de mes auditions pour entrer à l’École (la dernière fois, lorsque j’avais réussi!).
En parallèle à mon travail d’acteur, je m’intéresse de plus en plus à la mise en scène. L’an dernier, j’ai monté un spectacle symphonique pour jeune public avec l’Orchestre symphonique de Sherbrooke, un spectacle avec quatre acteurs et une quarantaine de musiciens ; c’était magique. Ce spectacle, Vikings Symphoniques, sera repris en novembre 2014 avec l’Orchestre symphonique de Québec. J’ai très hâte de revisiter cette œuvre.
J’ai aussi envie d’écrire, de me créer des défis impossibles à relever… Donc, ce sera peut-être ça le prochain projet. J’ai toujours hâte de voir quel sera mon prochain défi.
Quelles sont les leçons que tu apprises à l’École et qui te servent encore ?
Souvent, ce sont des leçons qu’on a intégrées dans notre quotidien et qui font maintenant partie de notre philosophie en tant qu’être humain, pas seulement en tant qu’artiste. L’École nationale de théâtre, c’est une école de la vie – on le dit souvent – ce n’est pas juste une école de jeu ou d’interprétation.
Plus particulièrement, on m’avait dit de ne pas autant chercher à réfléchir. Moi, je suis quelqu’un qui aime beaucoup réfléchir. Un de nos professeurs m’avait fait réaliser que l’intellect fonctionnait malgré nous, qu’on n’avait pas besoin de faire l’effort de réfléchir. Dans mon cas, c’était un mécanisme de défense, une façon de me sentir sécurisé et de fuir l’incertitude. J’essaie, de plus en plus, d’aborder mes rôles par la passion, par l’irrationnel et de jouer contre le texte, ce qui m’ouvre plein de portes.
Par exemple, quand on est en situation d’improvisation, il n’y a pas de texte, rien sur quoi on peut s’appuyer : on est juste un corps dans l’espace avec un public. C’est à ce moment-là que je me surprends le plus, que je suis à mon meilleur. C’est inutile de penser à réfléchir, ça se fait tout seul. Il faut plutôt que je me concentre sur la situation, la perception immédiate du moment, les sensations autour de moi, dans quel état je me trouve présentement et comment je peux intégrer ça dans une situation de jeu. Tout ça se fait dans des fractions de secondes, qu’on y pense ou non.
As-tu des conseils à donner aux jeunes artistes qui se lancent dans le métier ?
Sans vouloir être paternaliste, quand j’étais à l’École, je trouvais que les jeunes artistes n’allaient pas assez au théâtre. Je remarquais qu’on avait la critique facile – et je m’inclus là-dedans – on était les premiers à critiquer certaines formes de théâtre, mais on n’y allait pas en réalité et on jugeait de loin. Je crois qu’il ne faut pas sous-estimer l’apport des autres; quand on travaille dans un milieu culturel, il faut aller voir ce que les autres font. Pas seulement dans les arts de la scène, mais dans toutes les formes d’art. Ça prend des périodes de ressourcement pour voir ce que les autres font, sinon on finit par essayer de réinventer la roue.
Donc, le meilleur conseil que je puisse donner serait de ne pas être hermétique. Laissez-vous imprégner par le travail des autres. Plus on est jeune, plus on a l’impression de pouvoir conquérir le monde par nous-mêmes. La sagesse, c’est peut-être d’avoir une écoute, une disponibilité, une ouverture, une curiosité envers l’inconnu, l’étranger.
Y-a-t-il des choses que tu as fait dans ta carrière que tu ne croyais jamais faire lorsque tu étais étudiant à l’École ?
Je n’aurais pas pensé faire du théâtre jeunesse, pas parce que j’avais un préjugé contre ça, au contraire, mais parce que je ne baignais pas du tout dans ce milieu.
C’est arrivé un peu par accident et ça n’a que du bon. Avec les compagnies qui œuvrent dans le jeune public, on a la chance de jouer énormément de spectacles : pas seulement une trentaine de représentations, mais des séries de quelque 250 représentations. Les conditions ne sont pas toujours idéales: on joue dans des écoles, des gymnases, sous les néons! Mais on joue devant des centaines d’enfants et lorsque ceux-ci ne te croient pas, tu le sais instantanément. C’est impitoyable et tellement gratifiant en même temps, quand ça marche et que tu les sens accrochés, avec toi. C’est peut-être la plus belle surprise que j’ai eue à date. C’est une très, très belle rencontre.
Finis cette phrase : Si j’avais su à l’époque ce que je sais aujourd’hui…
J’aurais profité encore plus de mon insouciance pour créer deux fois plus, quitte à me planter deux fois plus souvent.