Irène Mahé

Irène Mahé (Mise en scène, 1985) a été tour à tour comédienne, auteure et metteure en scène. Elle est aujourd’hui la directrice du Théâtre du Grand Cercle, la compagnie de théâtre jeune public du Cercle Molière. Fondée en 1925, ce théâtre francophone situé à St-Boniface (Manitoba) est la plus ancienne troupe de théâtre permanente au Canada. Son frère Roland, qui a étudié dans le programme de production de l’ÉNT pendant un an (1965-1966), en fut le directeur artistique de 1968 à 2012.
Entrevue réalisée en décembre 2012.
Photo : Théâtre du Grand Cercle
Était-ce votre rêve d’enfant que de faire du théâtre ?
R. Oui et non. J’avais participé à un concours oratoire à l’âge de 14 ans et le metteur en scène Jean-Guy Roy m’avait demandé de jouer dans une pièce qu’il montait au Cercle Molière. Il a fallu demander la permission à mes parents, qui ont donné leur accord, et c’est comme ça que tout a débuté.
Vos parents étaient-ils dans le métier ?
Non, mais ils ont toujours été intéressés par le théâtre. On ne manquait jamais un spectacle au Cercle Molière et on fréquentait l’orchestre symphonique et le ballet. Ils étaient des grands amoureux de la culture et nous ont tous encouragé à aller jusqu’au bout de nos talents artistiques. Nous sommes quatre enfants, dont deux ont fait carrière dans le théâtre.
Comment avez-vous entendu parler de l’École nationale de théâtre ?
D’abord par mon frère Roland qui avait fréquenté l’École pendant un an. Aussi, il y avait beaucoup de gens de l’ÉNT qui venaient donner des ateliers ou faire des mises en scène au Cercle Molière. Une fois, le comédien Yvon Thiboutot est venu travailler avec nous et il m’a encouragé à y postuler. Mais j’étais beaucoup trop jeune et mes parents ne m’auraient jamais laissée partir. J’ai donc mis ça de côté.
Par la suite, ma vie à pris plusieurs tournants. J’ai poursuivi des études universitaires; j’ai fait une pré-maitrise en français et j’ai travaillé à Radio-Canada ainsi qu’au journal La Liberté. J’ai obtenu mon permis d’enseignement et j’ai commencé une carrière d’enseignante. Pendant tout ce temps, je continuais toujours de jouer au Cercle Molière.
Et puis, un jour, nous avons reçu un nouveau texte : Bonne fête maman d’Élizabeth Bourget (ecriture-dramatique, 1978). Je l’ai lu et il y a eu un petit déclic en moi. Je me suis dit que ça m’intéresserait de monter ce texte. C’était la première fois que je me hasardais dans une mise en scène. On m’a fait confiance et je me suis vite aperçu que c’était ça que j’aimais vraiment faire et que je voulais poursuivre.
Est-ce à ce moment-là que vous êtes venue à l’ÉNT ?
Oui. Le Cercle Molière était en pourparlers avec l’École pour voir si des membres de notre compagnie pourraient aller s’y perfectionner. Comme la mise en scène était une grande lacune chez nous (il n’y avait pas beaucoup de metteurs en scène francophones), l’École avait proposé de recevoir quelqu’un pour un stage d’un an. Par chance, j’ai été choisie. C’était une des premières années que l’École donnait le cours de mise en scène et j’ai été la première de l’extérieur du Québec à le suivre.
Parlez-nous de votre passage à l’École.
J’ai beaucoup aimé mon expérience, ça m’a permis de vivre quelque chose de vraiment extraordinaire. C’était inestimable, pour moi, de pouvoir observer les metteurs en scène travailler avec les étudiants. De plus, j’avais le bonheur de pouvoir suivre n’importe quel cours que je voulais – la danse, la voix, le chant, l’écriture – une très belle liberté. J’en ai aussi profité pour voir énormément de théâtre à Montréal, j’y allais presque tous les soirs.
Quels professeurs vous ont le plus marquées ?
J’ai beaucoup aimé Claude Brabant pour son approche et sa personnalité. Plus tard, elle est venue donner des cours au Cercle Molière, accompagnée de Marie Lavallée (Interprétation, 1982), qui était son assistante à l’époque. C’étaient des femmes extraordinaires et sympathiques. J’ai aussi de très bons souvenirs des cours de mouvement de Thérèse Cadrin-Petit.
Après votre stage, êtes-vous retournée au Cercle Molière ?
Oui. J’ai écrit des pièces, j’ai fait beaucoup de mises en scène, joué, donné des cours aux plus jeunes et aux comédiens pour les aider à faire l’analyse de texte, etc. Donc, ce n’est pas seulement moi qui ai profité de mon apprentissage à l’École, mais toute la troupe également.
C’est aussi à cette époque, en 1986, que j’ai fondé la troupe pour jeune public, le Théâtre du Grand Cercle (TGC), au Cercle Molière. Aujourd’hui, le TGC comprend toutes les activités pour les jeunes, y inclus le festival de théâtre jeunesse, une école de théâtre pour jeunes et une programmation spécialisée.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes metteurs en scène ?
Je leur dirais de profiter de toutes les expériences possibles. Apprenez-en le plus possible sur le métier de comédien, de technicien ou de concepteur pour avoir une base solide et une expérience arrondie. Aussi, allez au théâtre le plus possible.
Finalement, je leur conseillerais de ne pas avoir peur et de tenir à leur vision. Il faut la suivre jusqu’au bout et ne pas se laisser dérouter par les autres. Bien sûr, on doit consulter les concepteurs impliqués dans le spectacle et accepter leurs bonnes idées, mais ils doivent adopter votre vision. C’est le rôle du metteur en scène d’engager les collaborateurs et de les amener dans notre enthousiasme pour s’enligner avec vision. Et pour ce faire, il faut avoir une vision claire.
Sur quels projets travaillez-vous ces temps-ci ?
Je viens de signer la mise en scène d’Heyderabad, de l’auteur manitobain Jean-Pierre Dubé, qui était à l’affiche du 16 novembre au 8 décembre 2012. C’est un projet sur lequel j’ai travaillé pendant 4 ans. Cette production représentait en quelque sorte un nouveau départ pour moi. Je suis assez puriste dans mon approche à la mise en scène, dans le sens que tout doit soutenir le message de la pièce et le travail les comédiens. Je me suis aventurée sur un terrain plus technique, avec des projections qui prenaient la place de décors, par exemple, et où il n’y avait pas d’accessoires. J’ai dit aux comédiens qu’ils devaient être eux-mêmes les accessoires. J’avais une équipe pas mal extraordinaire qui n’a pas eu peur de me suivre dans ma vision et de me donner tout ce qu’ils avaient.
Y a-t-il un petit deuil à faire lorsqu’un spectacle se termine ?
Ça fait toujours un petit pincement au cœur mais j’essaie d’avoir une autre production à l’horizon. En ce moment, je me suis lancée dans un nouveau projet avec un autre auteur. Il s’agit d’un nouveau texte sur Gabrielle Roy et je suis emballée ! Je prévois commencer le travail avec les concepteurs au début de l’année; la tournée dans les écoles et communautés francophones se déroulera au mois d’avril.
Quelle pièce rêvez-vous de monter ?
Ça fait longtemps que je veux monter Starmania! J’adore quand il y a de la musique et de la danse dans les spectacles. En fait, nous avons commencé à étudier cette possibilité et à faire nos recherches, alors il y a de fortes chances que nous puissions réaliser ce rêve.
Si j’avais su à l’époque ce que je sais aujourd’hui…
Je me serais lancée plus tôt en théâtre comme carrière et j’aurais voyagé plus pour faire le plein. Toutefois, je me trouve chanceuse d’avoir pu faire ma vie à faire quelque chose qui me passionne.