Neilson Vignola

Neilson travaille au Cirque du Soleil depuis 1998 où il a œuvré sur plusieurs productions, dont Saltimbanco, KÀ et Délirium. Il a mené une carrière de régisseur, directeur de production et assistant à la mise en scène au théâtre, à l’opéra et au cirque. Il a travaillé sur de nombreux festivals, spectacles de danse, concerts et comédies musicales.
Entrevue réalisée en juin 2009.
Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?
Je suis en train de préparer la Fixation du spectacle Zaia du Cirque du Soleil, présenté à Macao cet été, et je travaille sur un nouveau projet qui n’a pas encore de nom, mais qu’on appelle Cirque 2010, mis en scène par Robert Lepage qui sera présenté à Montréal, sous chapiteau, à partir du 22 avril 2010.
Combien de temps ça prend pour monter un spectacle du Cirque du Soleil ?
À partir des premiers balbutiements jusqu’à l’ouverture d’un spectacle, ça prend entre deux ans et deux ans et demi.
Parlez-nous du processus de création.
La première étape est une rencontre entre Gilles Ste-Croix (vice-président, création), Guy Laliberté et le metteur en scène qu’ils ont sélectionné. Bien souvent, ils vont avoir une idée de concept qu’ils aimeraient développer avec le metteur en scène ou encore ils vont demander au metteur en scène d’apporter ses idées. Dans le cas de Robert Lepage, il avait déjà une idée et ce fut le point de départ du spectacle. Par la suite, il y a du brainstorming entre le metteur en scène et une partie de son équipe de création, soit l’éclairagiste, le scénographe, moi-même (le directeur de création) et le directeur technique. Là, les idées se brassent. Au départ, nous sommes un petit groupe et nous faisons évoluer l’embryon; ensuite c’est partagé avec les autres membres de l’équipe de création. Dans ce cas-ci, il y a plus de 20 personnes dans l’équipe de création et il en est de même avec l’équipe de production. Nous nous rejoignons de façon épisodique au cours des prochains mois, sur 2 ans, pour développer le thème. Chacun et chacune donne son point de vue sur les différents tableaux pour amener sa couleur, son point de vue, le tout chapeauté par le metteur en scène qui trie les idées pour en faire un tout.
Comment ces réunions se déroulent-elles ?
Chaque spectacle a sa salle de création, une grande salle de réunion qui nous est réservée pendant les deux ans du projet. Elle est placardée d’images d’inspiration. On met toutes nos scènes sur le mur et on retrouve en-dessous les photos des artistes et les costumes du tableau, les images de création, etc. À chaque réunion, nous reprenons le spectacle au complet en suivant notre squelette acrobatique qui peut changer plusieurs fois en cours de route. Le schéma acrobatique, ou l’ordre du spectacle, évolue selon les commentaires, selon la technique, pour garder le spectateur en haleine. Nous essayons de faire une montée dramatique tout le long du spectacle. Et c’est ça qui nous impose des modifications qui peuvent être faites même jusqu’après la première. C’est une spécificité d’un spectacle du Cirque du Soleil; ce n’est jamais figé, ça bouge toujours.
Quels aspects de votre formation à l’École vous ont été les plus utiles dans votre vie professionnelle ?
Ce que j’y ai appris et qui me sert le plus encore aujourd’hui, c’est l’organisation du travail et une connaissance très générale des métiers de la scène. À l’ÉNT, on nous apprend chacun des métiers; j’ai donc appris à faire de la régie, de la direction de production, de la direction technique, de la sonorisation, etc. On ne peut pas tout apprendre dans une école; c’est dans le métier qu’on va peaufiner tout ce que l’on a appris. Mais, c’est cette ouverture que j’ai reçue à l’École qui m’a permis de toucher à tout. (J’ai fait de la danse, du théâtre, de l’opéra – et je fais encore beaucoup d’opéra, d’ailleurs, depuis plus de 25 ans).
C’est sûr que la formation à l’ÉNT a beaucoup bougé depuis que j’en suis sorti, car en 1980 il n’y avait pas les formations qu’il y a présentement (par exemple, le dessin par ordinateur : nous travaillions au papier-crayon pour faire tous les plans techniques). La révolution technologique est arrivée et les découvertes se font à une vitesse folle et je crois que l’École se tient à la fine pointe de cette technologie.
Est-ce vous avez toujours voulu travailler dans le domaine du spectacle?
Pas du tout ! Je me dirigeais en politique.
En politique?
Oui. J’ai commencé des études en politique, à l’Université Laval. Mais pas pour devenir ministre ou député. Je me voyais plutôt travailler en relations internationales, dans une ambassade par exemple, à travailler dans les coulisses, à organiser et préparer les politiciens. Je ne voulais pas du tout être dans l’œil du public.
Les arts de la scène et la politique se rejoignent un peu; comment s’est faite cette transition pour vous ?
J’ai commencé à faire de la scène à 15 ans, au collège. Tous les grands spectacles qui venaient dans ma région étaient présentés à notre auditorium. Ça m’a donc permis de faire des rencontres avec les artistes, de décharger les camions, de faire des montages et démontages, le tout non-rémunéré, bien sûr ! Je ne savais même pas qu’on pouvait être payé pour faire ça !
J’ai continué à faire du spectacle amateur lorsque j’étais au cégep. C’est à cette époque que j’ai rencontré Robert Lepage, qui était étudiant au Conservatoire d’art dramatique. Comme il n’y avait pas de techniciens qui travaillaient au Conservatoire, ils prenaient des gens de l’extérieur pour monter les spectacles. Un de mes copains, Denis Bernard, avec qui j’avais étudié au collège, m’avait appelé pour faire un montage. J’ai eu mon premier chèque de paie. Je ne pouvais pas croire qu’on pouvait faire de l’argent à faire ça. Là, j’ai rencontré Paul Leclerc, aujourd’hui décédé, qui était directeur technique et qui avait fait sa formation à l’ÉNT, qui m’a dit que je pouvais étudier ce métier à l’École. Ça me tournait dans la tête…
Je suis rentré à l’université et après un an, je suis retourné faire un spectacle au Conservatoire et j’ai réalisé que c’était ça que je voulais faire dans la vie. J’ai donc décidé de laisser mes études en politique et d’entrer au théâtre…
Mais je n’ai jamais voulu être sur scène, la scène m’a toujours fait peur. Je respecte énormément les comédiens car ça prend beaucoup de culot pour monter devant des spectateurs. Ma place est en coulisse.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui débutent une carrière en production?
La première chose qui me vient à l’esprit n’est pas nécessairement un conseil mais une réalisation personnelle : il faut au départ se demander si on a la passion, sinon on ne fera pas ce métier bien longtemps. Les gens qui vont durer, qui vont aller le plus loin, sont ceux qui ont cette flamme. Car, il y a des périodes où on ne travaille pas, des périodes où on se remet en question et ça peut arriver à tout âge. Il faut donc avoir le feu sacré qui nous pousse à continuer, sinon on abandonne.
«Si j’avais su à l’époque ce que je sais maintenant…»
Si j’avais su, je n’aurais absolument rien changé à mon cheminement passé, car je me sens parmi les privilégiés de ce monde de pouvoir faire ce que je fais aujourd’hui. J’ai toujours rêvé de créer des spectacles, de voyager, de ne pas avoir un boulot routinier et de rencontrer des gens différents. Ce que je fais professionnellement depuis maintenant plus de 29 ans est sans doute au-dessus de ce que j’aurais pu croire possible à 15 ans, mais sûrement pas au-dessus de mes rêves de jeunesse.